lundi 17 janvier 2011

La révolte de la poupée dorée


Comme un éclair, la question le surprit en pleine rêverie. «  Que faisait-il sur ce banc ? » ou plutôt maintenant qu'il y pensait «  Qui attendait-il ? ». Car le pourquoi, il le savait. Il avait rendez-vous avec une personne très importante pour la suite de sa carrière. «  C'est maman qui l'affirme en tous cas. »
Grégoire était un de ces enfants providence qui sont devenus adultes trop tôt parce que leurs parents ont cru en leur talent.
Nourrisson, il vantait les mérites d'une crème anti-rougeur pour les fesses. Enfin, c'était plutôt la sage-femme de l'hôpital. Plus tard, ce fut les chevaux de bois à bascule qui firent la joie des banquiers de papa et maman. Pour lui, bosses et écorchures ! Ensuite, il chanta. De l'avis de la tribu, il avait une très belle voix, et son jeune âge ( 13 ans ) était un atout supplémentaire. Une chaîne de télévision décida de le propulser au sommet de son Hit-parade pour la saison estivale. Grégoire savait bien alors que son succès serait aussi éphémère que le passage de la comète Halley cette année là. Il n'espérait qu'une seule chose, ne pas attendre le véritable succès 70 ans.

Aujourd'hui, à l'âge où les jeunes gens font leur service militaire, Grégoire était assis sur un banc public sans être capable de savoir avec qui il avait rendez-vous. Comment aurait-il pu en avoir la moindre idée ? Le rendez-vous avait été pris par sa mère ?. Mais sa mère avait eu un empêchement de dernière minute.
«  Tu te débrouilleras tout seul, pour une fois », lui avait-elle dit en le voyant partir.
«  Laisse-moi tranquille ! », s'écrit-il.
«  Eh bien, Greg, tu es de mauvaise humeur, aujourd'hui ! »

Grégoire se secoua. C'était bien une voix extérieure qu'il venait d'entendre, et de surcroît, celle de Virginie.

«  Mais, que fait tu là, mon vieux ? Cela fait bien dix minutes que je t'observe, que je te fais signe ; et toi, tu n'as aucune réaction. Tu reste replié sur toi-même. Tu t'es même pris la tête dans les mains. Greg, tu m'inquiètes. »
«  Excuse-moi, ce n'était pas à toi que je disais de me laisser tranquille, mais à ma mère. »
« A ta mère ! »
« oui, à elle, à mon père aussi. Et d'ailleurs à tous ceux qui gravitent autour de de l'étoile filante « Bob Mac Evans », la poupée dorée. Tu vois, Virginie, toi qui a toujours refusé de m'appeler autrement que Grégoire Martin, et entre nous Greg, l'esclavage existe toujours. En France, pays de liberté, on fait encore travailler des enfants. J'en suis l'Affiche promotionnelle. Dans quelques minutes, un monsieur m'invitera à le suivre dans sa Cadillac, et me fera signer un contrat béton pour la suite de ma carrière. Ce contrat, je ne l'ai jamais lu, je n'en ai jamais discuté les modalités. J'ai envie de vivre, d'être enfant, un enfant de vingt ans. Viens, on va à la piscine. Viens, on prend le train pour les Alpes. Viens, il existe des vallées où la nature ne connaît pas la télé. Virginie, partons! »

Une main tremblante se referme sur la sienne. Grégoire est encore tout étonné d'exprimer ses désirs. Ensemble, ils se lèvent et se dirigent vers leur avenir.
Un homme s'approche: « Bob Mac Evans ? »
Grégoire ne se retourne pas.
© Laurent SILVIN, juin1997

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