jeudi 20 janvier 2011

Tout commence… ainsi



« La vie d’un homme est une très longue histoire
où la naissance n’est qu’un épisode. » 
Claude Edelmann 



Un jour, le cœur et le corps de la femme furent envahis par un désir : celui d’être mère.
Certes, le couple en avait discuté à maintes occasions sans jamais se décider. Il fallait d’abord qu’il existe professionellement et socialement. Un enfant ne se fait pas à la légère !
Après des mois, des jours de vie commune, un frisson parcourut madame.

« Et si nous avions un enfant ? Un petit être que nous chéririons ! »

L’idée fit son chemin, devint un but sans lequel leur vie n’aurait eu aucun sens.
Oui, ils allaient faire un bébé, un vrai !
Elle ne prit plus la pilule.
La nouvelle se répandit très vite au sein de notre communauté. Plus de danger !

La pilule s’avère une invention diabolique pour les ovules. Ces petits cachets contiennent une hormone de synthèse appelée oestroprogestative. Dans la nature, ce phénomène apparaît lorsqu’une femme est enceinte. La progestérone l’empêche d’être à nouveau fécondée. Absorbée, la pilule bloque temporairement la ponte de l’ovule, la nidation et la pénétration de nouveaux spermatozoïdes. Autant dire, que nous étions en pleine guerre !

Au départ, nous étions trois cents ovules se préparant pour la grande aventure. Ce nombre avait bien diminué. Beaucoup d’entre nous avaient été emportés par le grand fleuve de sang du vingt-huitième jour. Chaque fois, les plus vieux ou les plus malades se sacrifiaient.

Mais cette fois-ci c’était la bonne. Enfin, l’un d’entre nous pourrait rejoindre un des nombreux prétendants masculins. Le grand conseil se réunit.
Qui allait-il envoyer pour cette mission ? Un ovule en pleine forme, capable d’aller jusqu’au bout. C’était l’effervescence !

Ce fut moi, Ovaline, qu’il choisit.
Aussitôt, on me mit à l’écart dans une petite chambre rose : le follicule. J’avais quatorze jours pour me préparer. Petit à petit, je grandissais. Bientôt, je fus de la taille d’un pois. Je pouvais sortir de mon antre. La femme était féconde.

D’abord, je ne sus que faire. Mes cours me revinrent. Je devais me déplacer lentement vers mon lieu de rendez-vous. Durée du voyage : maximum trois jours. Devant moi, je vis comme une anémone des mers tropicales s’ouvrir. Je reconnus l’éventail du pavillon de la trompe. Mon chemin passait par là. La trompe, majestueuse, se dressait face à moi. Quel spectacle merveilleux ! Je ne le vivrais malheureusement qu’une seule fois. Légèrement orangée, elle me faisait signe.


«  Viens, viens ! Je t’acceuillerai comme un roi ».


Ces milliers de cils battaient sans relâche, créant ainsi un phénomène d’aspiration. Je me sentis attirer vers ce lieu magique où se déroulerait plus tard la grande rencontre. Elle se contractait en même temps augmentant de cette façon le phénomène d’attirance. Je n’était plus qu’un aimant polarisé sud et elle, nord. Il ne me restait plus qu’à calmer mon impatience. Je tuai le temps en me refaisant une beauté. Les déplacements vous fatiguent toujours un peu. Dépêche-toi mon jeune ami ! Je n’ai que vingt-quatre heures.

***




Je t’imagine en chemin…


Tu as quitté ta demeure Testicule, te voilà hors du pénis. Les instants de plénitude que viennent de vivre l’homme et la femme ont permis d’ouvrir la porte. Pour une fois, tu n’as pas fini ta course dans un préservatif. Effrayés par l’humidité vaginale, plusieurs spermatozoïdes fuient. Ceux qui restent mourront dans les vingt-quatre heures suivantes. Heureusement, vous êtes des millions. Pourtant, il n’y aura qu’un seul élu : Toi.

Avec tes compagnons, vous avancez à la vitesse de deux millimètres par minute. Vous commencez l’ascension du col de l’Utérus. Sa fermeture signe l’arrêt de l’aventure. Aujourd’hui, la voie est libre. L’autre versant vous accueille dans un climat basique très agréable. Après une petite pause à la mémoire des nombreux absents, vous repartez. Les épreuves continuent. Vous devez remonter à contre-courant les deux tiers de la trompe. Cette traversée se révèle une véritable hécatombe. En tant qu’étrangers, le corps féminin vous traite comme tels.  Il vous déclare la guerre. Vous engagez une lutte acharnée contre vos ennemis : les anticorps antispermatozoïdes. Ils ont réellement tout d’anti, mais vous vous êtiez entrainé au combat. Vous vous montrez déterminés, impitoyables. Pas assez peut-être ! Les survivants de ces batailles titanesques poursuivent leur chemin. Ils en reste quelque milliers à ce stade. Vous voilà enfin dans la trompe.

Je me trouve dans le seul endroit favorable à la fécondation, son tiers externe. Vos têtes chercheuses corrigent la trajectoire. Vous voilà face à moi, impressionnés par ma grande taille. Mon noyau vous fait de l’œil. Vous aspirez à traverser la belle membrane dont je suis drapé.  Jusque là, vous aviez supporté des climats hostiles, des ennemis terriblement bien armés mais vous pouviez toujours passer. Maintenant, il vous faut franchir un mur.

Trois spermatozoïdes réussirent cet exploit. Les autres s’écrasèrent la tête dessus. Je suis machiavélique ! Pour attirer mon attention,  avec vos petites queues vous entammez la danse de la séduction. Rituel du fond des âges mais qui plaît encore aujourd’hui. Un seul d’entre vous doit grossir et s’unir avec moi. Ton charme et ton audace eurent raison de ma résistance, Spermatum 25068, tel est ton matricule de reconnaissance.

Nos deux noyaux fusionnèrent. Nous mîmes en commun, toi tes chromosomes paternels au nombre de vingt-trois, moi mes chromosomes maternels au nombre identique. Il y avait donc quarante-six chromosomes complets pour l’enfant à venir. Un œuf était né de notre rencontre.

Cet œuf allait progressivement se développer. Mais, pour l’instant nous n’y pensions pas. Trop heureux d’avoir chacun de notre côté réussi nos missions respectives. Nous avions été exact au rendez-vous. Détrompant les mathématiques, le miracle se produit : Un plus Un font UN.



***


Suite à la rencontre d’Ovaline et Spermatum 25068, j’ai pris conscience de mon identité. Désormais, je parlerai d’eux comme des souvenirs.
Je me présente : Morula.
J’ai choisi ce nom en raison de mon physique semblable à une véritable grappe. Ma grande connaissance du latin, me permet d’affirmer que ce terme veut dire mûre. Le fruit ! J’habite maintenant, un nouveau monde, la planète Utérus. Le climat idéal favorise mon épanouissement. Je me fixe donc définitivement sur sa paroi, pour me reposer de mon long voyage.

En effet, j’ai érré dans la trompe environ treize jours : une croisière touristique pleine de promesses. J’ai pu admirer un paysage splendide. Bercée par le mouvement des cils et des contractions du tunnel, je n’avais pas de soucis. J’ai appris la division.
Le principe est simple. Prenez une feuille de papier et coupez-la en deux, puis ces deux morceaux en deux et encore, et encore … Très vite vous aurez beaucoup de bouts de papier. Au rythme régulier d’une segmentation toutes les douze heures, j’ai fait exactement la même chose mais avec moi-même. D’une cellule initiale, j’en fis deux qui en produisirent quatre, etc, etc… La règle du jeu consiste à s’arrêter au nombre de soixante mille milliards de cellules. Ce chiffre correspond à un bébé à sa naissance. Impressionnant !

Aujourd’hui, j’en suis encore loin. Je fête mon vingt-et-unième jour. Je suis déjà une grande, presque cinq millimètres. J’ai la forme imprécise d’un haricot. Je me suis offerte un petit cœur, très efficace. Quel plaisir ! Je suis émue. J’ai également installé un véritable téléphone interne : le cordon ombilical. Cet outil, indispensable pour l’écoute, me permet également de me nourrir. Grâce à lui, je suis en contact indirect avec un univers étrange : le Dehors. Le Dehors vivent l’homme et la femme que j’appellerai plus tard papa et maman.

D’ailleurs pour la première fois, je leur fais part de mon existence. J’utilise un code bien précis. Ne pouvant vivre qu’à la température de 37°C (surtout dans les premiers mois), le thermostat féminin augmente légèrement. La fièvre inquiète la dame mais ne prouve rien.
Une femme fièvreuse n’est pas toujours une femme enceinte. Ce seul symptôme ne suffit pas pour me signaler.

Je suis bien dans l’utérus. L’endroit convient parfaitement à ma croissance. Je prend du volume. En conséquence, j’élargis mon habitation. Maman le remarquera très vite. Des tiraillements la dérangent.
Et puis, je me protège de l’extérieur. Un peu de chimie et la chose est réalisée. Prenez une dose de sécrétions vaginales, ajoutez y un peu d’acide et toute invasion microbienne est repoussée. Mieux que l’aspirine. Et de plus, c’est écologique.

Mes occupations pertubent la vie de maman. Une température interne élevée,  plus mes bricolages, la rendent malade. Il lui arrive d’avoir des nausées. Ou bien, lorsque j’augmente ma maison Utérus, j’appuie sur sa vessie. Du coup, les toilettes sont souvent occupées. Parfois, elle manque d’appétit. C’est grave ! Elle doit au contraire manger (pour DEUX !) disent ses amis.
Par contre, elle a des envies surprenantes comme des fraises en plein hiver. Je suis un petit monstre. J’embête tout le monde.
C’est mon premier mois d’existence.
Il m’en reste huit pour façonner mon image.

***

« Docteur, j’ai des crampes toutes les nuits. C’est très désagréable. »

Ça, c’est la voix de maman !
Elle se trouve chez le génial Dr Toutentoc. Il est exact, parfois elle souffre. Il faut bien l’admettre, j’occupe de plus en plus mon univers.

Au secours, au secours ! Que se passe-t-il ? Maman a trop chaud. Maman a soif. Maman serait-elle malade ? Non, elle va passer sa première échographie. Elle a du boire un peu trop d’eau une heure avant. Pour dilater sa vessie, délimiter le champ d’action des ultra-sons. Les ondes passeront par l’utérus et son habitant avant de retourner à leur source d’émission. Leur vitesse détermine la matière traversée. Ainsi, sur l’écran apparaissent, l’utérus, le sac ovulaire ( ma chambre ) et une forme vague ( moi ).

On va m’espionner. Qui suis-je ? A quoi je ressemble ?

Maman et papa, lorsque tout à l’heure vous verrez ma première photo, ne prenez pas peur. Mon nom n’est pas « Elephant man ». Ce n’est pas parce que mes oreilles sont sous ma bouche que je suis un monstre. Je n’ai pas encore installé de miroir, il y a quelques défauts de situation.
Ai-je dit que j’ai une langue ? Une vraie langue de futur bébé. Alors trop content de me montrer à vous, je grimace. Soyons franc, je vous tire la langue.
Ce plaisir, je me l’offrirai une fois dehors.

« Elle n’est pas belle ma langue ? »

Ce matin, je dévoilerai aussi quelques chiffres.
Ma taille, j’en suis fier. Après deux mois, je mesure trois centimètres.
Mon poids : trois grammes.
Mais le plus surprenant, dans cette petite chose, il y a déjà presque tout. En très petit, bien sûr ! Je pourrais serrer la main ou botter les fesses. Pieds et mains sont là avec tous les doigts.

Je gigotte également. Dans tous les sens. Ça y est je deviens mobile. Tous les jours, je fais quelques mouvements de gymnastique. Gymnastique utérale !
Des millions de petits êtres la pratiquent. Malheureusement, nous n’aurons jamais de fédération, jamais de compétitions, et monsieur le Baron de Coubertin, jamais de Jeux Olympiques. Dommage ! Aujourd’hui, je tiens la forme des grands jours. Celle où l’on se sent capable de battre des records du monde. Si,si !

Je me contente de bouger en solitaire, croisant les doigts, jouant avec mes orteils, frappant des mains au rythme de la musique du Dehors ou des battements de mon cœur, dont la formation est complétée. Côté gauche, côté droit, la révision le confirme :l’organe fonctionne. Plus tard, ce petit cœur sera un grand cœur capable de tomber amoureux. J’en ai la larme à l’œil. L’œil, ou plutôt les yeux, que je garde grands ouverts sur le monde intérieur de maman, sans pouvoir pour l’instant, lui faire un clin d’œil.

Heureux, déçus, surpris, émus, je vous laisse, chers parents, le choix de l’émotion.

Sachez simplement qu’à l’instar des Peaux-Rouges, je change de nom à diverses époques de ma vie. Désormais, je m’appelle Fœtus. Je stocke toutes les informations dans mon petit cerveau ; le dernier-né de mes organes.

***

Au fil des semaines, mes os et mes muscles devinrent plus fermes, plus durs. Mes poumons s’étoffèrent. Enfin, mon estomac commença à grignoter quelques débris flottant dans le liquide amniotique. J’étais prêt…

Mes parents avaient consulté les plus grands spécialistes de notre époque. Scientifiquement, rien n’avait été laissé au hasard. De calculs en calculs, le Dr Toutentoc prévu ma date de venue au monde. On détermina mon signe astrologique. Tout cela, bien sûr, fut fait dans le plus grand secret médical et familial.
Pourtant, tous ont omis de connaître mes désirs. Personne ne vint me consulter. Il est vrai qu’à l’époque, je n’étais que peu de chose : un simple sermatozoïde d’un côté, un ovule de l’autre qui n’aspiraient qu’à se rencontrer pour s’unir.

Contre toute attente, je pris la décision de naître un peu plus tôt !

J’ai commencé par taper doucement, puis de plus en plus fort, histoire de prévenir maman.
A l’extérieur, les préparatifs allaient bon train. Papa avait fini la future chambre à Bébé, comme il disait. La famille et les amis n’arrêtaient pas les louanges, les vœux de bonheur et les layettes. A propos de celles-ci, ils s’interrogaient un peu, l’erreur pouvant être fatale pour mon psychisme. Bleu ou rose ? Bleu pour les garçons et rose pour les filles, logique.

Neuf mois, à peser le pour et le contre, à tenter de mieux connaître ce futur monde. Neuf mois de réflexions, durant lesquels j’ai modelé patiemment mon corps. Non au hasard. J’avais à ma disposition un cahier de charges précis. Fidèlement, je l’ai suivi.

Je préparais mes valises. Surtout ne rien oublier.
Je laissais ma petite laine ainsi on ne me prendrait pas pour pour un singe. Je fonçais la tête la première. Quel moment intense !

J’ai failli retourner d’où je venais.
Ma mère souhaita une naissance dans l’eau car les douleurs ressenties durant l’accouchement diminuaient. Normalement, elle devait simplement commencer le travail dans la piscine, puis en sortir. En dernière minute, elle y resta.
Ma peau ressentit un bien-être dû à la température de l’eau : 37°C. Une eau pure dépourvue de tous germes nocifs pour ma jeune santé. Je vis la vie en bleue lorsque maman ouvrit les jambes.

Sentant ma tête à l’extérieur, je voulus respirer enfin un bon coup. Je bus la tasse, je toussai. Ce fut donc mon premier souvenir. Plutôt humide ! J’ai pensé un instant que ma dernière heure était venue. Après quelques minutes seulement, c’était un comble.
N’ayant pas encore reçu ma première bouée - cadeau d’un prochain anniversaire - je ne savais à quoi me raccrocher. Je devais remonter au plus vite à la surface, sous peine de noyade. Je lançais des SOS bébé en danger.
Pour cela, je choisis les gestes. Mes bras et mes jambes se mirent à dessiner des grands cercles dans l’eau. De l’air par pitié ! On me laissa dépenser mon trop plein d’énergie. Puis, des mains se glissèrent sous mes aisselles.

Le voyage recommença. Ce n’était qu’une station intermédiaire.

***
L’eau glissa sur ma peau telle un voile enveloppant les déesses antiques. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale lorsque ma tête perça la surface de l’eau. L’air, désormais présent, s’insinua de ma bouche à mes bronches. Je pus enfin pousser mon premier cri. Je mis dans ce hurlement toutes mes forces encore disponibles.
Quelle tonalité!

Les fenêtres vibrèrent. Les personnes présentes se bouchèrent-elles les oreilles ?

J’ouvris les yeux. Je fus saisi par la quantité de choses. Tout d’un coup, des informations parvenaient en masse dans mon cerveau. Je crus devenir fou.

Maman était allongée, un peu fatiguée mais avec le plus beau des sourires, malgré tout ce qu’elle avait enduré. La pauvre ! Papa avait tenu a assisté à ma naissance. Lui aussi souriait. Ils n’étaient pas seuls. Beaucoup de monde m’entourait : le Dr Toutentoc et des sages-femmes.

« Salut, à vous tous, excusez mon avance ».


On me posa sur maman. Quel contact ! Tandis que je savourais cet instant, tous s’affairaient autour de moi. Il restait quelques bricoles à régler.
Couper cette corde de sécurité, le cordon ombilical. De cet acte, le mot liberté prendra tout son sens.
On me fit une petite toilette. On me pesa, me mesura. Tout fut noté sur mon carnet de santé. Le médecin prévint mes parents. A l’avenir, je serai un garçon. Cette remarque lui fut judicieusement évoqué par le petit zizi pendant fièrement entre mes jambes.

Deux heures après, je pouvais m’offrir mon premir repas. Mon estomac criait famine. Ce fut délicieux.
Le goût agréable du lait coulant, entre mes lèvres, du sein de maman, me fit le plus grand bien. Je ne suis pas Pantagruel mais je bus beaucoup… longtemps ! A cettte occasion, je précisai à ma mère la qualité et la quantité désirées. Avoir en abondance est indispensable. Je pris conscience de ce privilège. Après quoi, je m’assoupis sagement.



Ainsi, tout commence…



© Laurent SILVIN, 2005



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