vendredi 14 février 2014

Ma quête vers l'humanité


Une vie au château-fort
J'étais fort, courageux, loyal, audacieux, compatissant, grand comme le voulait mon père. J'étais fidèle à mon seigneur et je me battais comme un noble chevalier.
Mais un jour, par malchance et par manque de rudesse, je me battis contre un ours lors de la chasse seigneuriale au côté de mon père qui est aussi mon seigneur. Je lançai une flèche sur l'ours, le plus agile de tous et de tous les royaumes. Il rattrapa la flèche et la lança dans ma direction. Même un vilain se serait moqué de moi.
La douleur fut si forte que je ne pus me retenir de crier. C'est dur de mourir : on voit du noir et puis plus rien.
C'est ainsi que se déroula ma « mort ». Mon père disait toujours que je ne ferais pas de mal à une mouche. Il faut déjà arriver à l'attraper !

Ma vie d'ours
Je me réveillai tout en sueur devant mon père qui me regardait effaré. J'eus peur : encore une chose à éviter en tant que chevalier et en tant que fils du seigneur.
Et ensuite mon père, pour la première fois de sa vie, cria au malheur. Il enfourcha son cheval, mit le pied dans l'éperon et partit au galop.
C'est alors que je pris conscience de mon état. J'étais ce que l'on appelle un ours : la peau brune, épaisse, de grands yeux, de grandes narines (pour sentir ma peau qui ne sent guère bon), un museau énorme, des griffes longues et acérées, une corpulence impressionnante... Bref, un typique ursidé.
J'étais devenu l'ours chevalier Ordos.
En face de moi se tenait un homme de parure parfaite, avec son écu, son destrier, son cheval... : moi ! Un miroir ? Dans une forêt ? Un sosie ? Non, cela ne pouvait pas être un miroir car j'étais un ours. Cela pouvait être un sosie. Je voyais devant moi mon parfait portrait : l'homme robuste que j'avais été. C'est alors que je perçus quelque chose hors du commun dans son regard. J'émis cette hypothèse : l'ours m'avait renvoyé la flèche, la flèche m'avait transpercé, et nous avions échangé nos corps. Cela ressemblait à un conte de fée ou à une histoire d'horreur mais je ne rêvais (ou ne cauchemardais) pas.
Après toutes ces pensées, j'eus faim. Que mangent les ours ? Comment se nourrissent-ils ? Comment se procurent-ils leur nourriture ? De quelle manière l'avalent-ils ? Mangent-ils beaucoup ? Que boivent-ils ? Toutes ces questions tourbillonnaient dans ma tête. Je ne connaissais pas la famille des ursidés qui comporte les ours et les pandas.
Pourtant, mon instinct me poussa vers la rivière. Je plongeai ma tête dans l'eau et je bus, très longtemps... J'eus tellement bu à la fin que mon estomac gargouillait. Je pêchai des poissons de toutes sortes : truites, barbeaux, brèmes, ombres... Il y avait de quoi nourrir un château-fort entier avec ses dames, ses chevaliers, son seigneur et même certains vilains et serfs. Pour un ours, c'était le véritable paradis.
J'avais une facilité à courir dans mon grand corps d'ours, alors je courus. Je longeai la rivière.
Cela ne faisait que quelques heures que j'avais quitté mon ancienne vie de chevalier, ma famille, mes amis et déjà ils me manquaient tous...
En fait, où se logent les ours ?

Ma quête vers la pensée
J'ai dû me rendormir dans mes si bons et chaleureux souvenirs car je me réveillai dans le froid, sous un arbre. D'habitude, après un cauchemar, on se réveille dans son lit et on se rendort pour faire de beaux rêves de demoiselles mais là, je restai Ordos, l'Ours Chevalier. Il me fallait à tout prix retrouver mon apparence humaine, je voulais redevenir homme ! Mon subconscient, qui souvent a raison, me disait que ce ne serait pas possible et qu'il faudrait que je m'habitue, pourtant, je gardais tout au fond de moi un espoir pour ma retransformation.
Les semaines passèrent et toutes les nuits je faisais un rêve : celui de ma quête vers l'humanité. Mais une nuit, je rencontrai une dame qui me révéla ce que je voulais : comment retrouver mon apparence humaine. C'était cette fée qui m'avait transformé, elle voulait que je la délivre. Elle avait été enfermée dans le monde des rêves par un sorcier. Pour la délivrer, il fallait qu'un ours tue le roi des surnaturels. Elle m'a transformé, moi, si noble et si généreux. Le roi pouvait croire que j'étais un ours de nature. Si je voulais redevenir humain, il fallait que j'accomplisse cette tâche...
Deux semaines passèrent et mes nuits furent mouvementées : la fée me rappelait ma tâche et j'inventais un physique au roi des surnaturels.

Le combat épique : mon retour
Une nuit, la fée me montra son roi : il était musclé, robuste, prêt à se battre à tous moments et il connaissait la bataille que nous allons appeler la bataille de la fin car un de nous deux allait mourir. Il me regardait avec un regard noir. Il fallait donc que je combatte ce monstre ! Je ne pensais pas réussir.
Un jour, assez tôt le matin, il se présenta devant moi alors que je prenais des baies comme petit déjeuner. Cela me surprit et j'eus peur. C'était la première et peut-être la dernière fois que j'avais de la visite en ours.
Étrangement, ce roi loup-garou et roi surnaturel déposa à mes pieds un équipement chevaleresque : un heaume, une lance, un écu, un destrier et une épée sans mot dire. Cela me rappelait mes quinze ans pendant ma cérémonie de l'adoubement, les tournois que nous faisions devant public. Mais à cet instant, ce n'était pas la même chose : il allait me trancher la tête et ce serait fini pour moi. Il me regardait toujours de son oeil méchant. Il paraissait excité à l'idée de cette bataille et surtout de la fin...
Soudain, il me lança sa lance en pleine face. J'esquivai de justesse. Je lui donnai un coup d'épée. Il bascula en arrière mais réussit à me frapper de plein fouet. Pourtant, malgré ma justesse et ma rapidité, je n'arrivai pas à l'esquiver et roulai au sol.
Je me lève mais il me donne de nouveau un coup. La rage donne de la force, alors, je lui arrache des mains sa lance et le fais rouler par terre. Il tente de me couper la tête mais mon écu provoque un bruit métallique. Je suis bien équipé mais lui est mieux équipé que moi : nous ne sommes pas à égalité. La contrainte fait le courage et le courage fait la ruse et la ruse fait la victoire. Alors, je l'attaque par derrière. Surpris, il manque de s'écrouler. Si le regard tuait, je serais mort un certain nombre de fois ce matin ! Il me donne alors un coup si près du coeur que je faillis perdre connaissance. Mais le courage donne l'éveil, alors je le frappe avec ma lance dans le cerveau. À chaque fois qu'il me donne un coup, je lui en rends le double. Je suis moi-même épaté par mes performances. Son épée est plus aiguisée que la mienne pourtant mon destrier et mon armure résistent assez bien.
Grâce à la rudesse d'un de mes coups, le roi qui se croyait si fort, voire invincible roule sans connaissance jusqu'à la rivière.
J'ai réussi ce combat épique.
Après ce si dur effort qui a duré bien plus qu'une matinée, je dormis longtemps... je rêvai de choses et d'autres...
Lorsque je me réveillai, je me trouvais dans ma chambre, dans mon château-fort, mon père me regardait et la fée aussi...

Ici s'arrête ce récit que j'ai écrit en hommage à ma fée qui est décédée hier, victime de la peste... Je pleure sur ce papier...
© Eole SILVIN, décembre 2013