samedi 21 février 2015

Lettre au Paradis


Cher Paul,

Tu es mort il y a déjà une semaine, et nous t'avons enterré hier. Je déposerai tout à l'heure cette lettre. Je m'ouvre à toi. Je t'ouvre mon cœur. Et si dans l'autre monde où tu es parti, tu peux lire ma lettre, je t'en prie lis-la mais surtout ne me juge pas.

Tu es mort dans un accident de voiture, le jour de tes 17 ans, tu rentrais de soirée. Tu avais bu et je n'étais pas là pour te dire d'arrêter. Tu n'as jamais voulu m'écouter de toutes manières, et puis tu ne voulais plus me voir. Tu ne m'as jamais donné de raison et j'en suis attristée. J'aurais tellement voulu savoir le fond de tes pensées, Paul.

Je te connais depuis que je suis enfant, et je pensais bien te connaître, mais l'adolescence t'a changé, Paul ! Tu es devenu irresponsable, et tu m'as repoussé. Je n'étais pourtant pas collante. J'espérais réussir à conserver notre amitié, et commencer ma vie d'adulte à tes côtés. En amie, bien sûr ! Ne t'imagine rien. Non, rien.

En écrivant cette lettre, je pleure et mes larmes roulent doucement sur mes joues. Tu m'as déjà vu pleuré pourtant, mais aujourd'hui j'ai honte de pleurer devant cette feuille où je te parle. Tu me manques, tu me manquais toujours quand tu n'étais pas là, même si c'était seulement 10 minutes. Paul, tu m'obsédais. Tu étais mon confident, jusqu'au jour où sans raison, tu m'as ignorée. Je te faisais honte, n'est-ce pas ? J'aurais aimé que tu m'expliques. J'aurais aimé que tu te confies à moi. Tu ne l'as jamais fait. Tu étais trop dans ton monde : jeux vidéos, alcool, soirées, et plans-cul. Et moi, j'étais trop sage pour toi. Je prenais mes cours vraiment au sérieux, je voulais avoir le Bac. Je le raterais, pour toi, Paul. Oui, pour toi.

Pourtant, lorsque nous étions enfants, nous jouions sans fin dans le bac à sable. T'en souviens-tu au moins ? J'enrage de pleurer ta mort. J'aimerais ne pas souffrir par ta faute, mais depuis trop longtemps, tu me fais du mal. Ta mort est au fond une délivrance pour moi, et pour nous tous. Oui, c'est méchant ce que je te dis ! Mais, n'es-tu pas méchant, toi ? Si tu savais vraiment pourquoi je t'écris, tu sauterais au plafond, et tu te moquerais de moi. En fait, je sais depuis toujours pourquoi tu m'as laissé tomber. J'ai failli te le dire de ton vivant, et tu as dû comprendre, mais tu ne voulais pas entendre la vérité. Tu es parti, tu t'es fermé, et tu ne m'as plus adressé la parole. Malgré cela, Paul, malgré que tu m'ignorais depuis presque 6 mois, je suis venue à ton enterrement, parce qu'au fond de moi, tu étais toujours mon meilleur ami. Et tu le resteras pour toujours, désormais, puisque tu es mort. Mort, Paul, mort ! Comment puis-je vivre sans toi ? Sans l'espoir de renouer avec toi un jour ? Je n'entendrai plus jamais ta voix me dire « Lila, arrête tes sottises, tu sais bien que tu comptes pour moi. » Tu me disais cela il y a un an. Et pour moi, ça fait déjà une éternité. 6 mois après, tu partais. Paul, je vais te dire tout ce que j'ai sur le coeur depuis ton départ. Ne me juges pas, surtout. Je t'en prie.

Quand tu es parti, j'ai voulu te courir après. La main de Milanie m'a arrêté. Elle m'a demandé de me calmer, et elle a voulu me rassurer. Elle m'a dit que tu reviendrais. Tu n'es jamais revenu, et tu ne reviendras jamais. Tu es parti pour toujours désormais. Ensuite, j'ai essayé de me concentrer sur mes cours, de rester la fille sage que j'avais toujours été. Je n'ai pas réussi. Me croiras-tu, mes notes ont baissé considérablement, j'ai perdu 6 points, et désormais je tourne autour de 10 de moyenne. Toi, tu me diras sûrement que c'est la meilleure note que tu n'as jamais eu, mais ça non plus tu ne peux plus me le dire. Tu ne peux plus rien me dire.

Oui, je ne t'ai pas dit que je déprimais à cause de toi quand on était venu manger chez toi avec papa et maman. D'ailleurs, j'en veux toujours à tes parents. Je sais bien qu'ils espéraient qu'on se réconcilie, car... Paul, ils connaissent la vérité, ils savent pourquoi je suis aussi triste de ton départ, et de ta mort. Ils me connaissent mieux que toi au fond, et lorsque j'étais enfant, je me plaisais à les appeler tata et tonton. Ils étaient de la famille pour moi, et ils ont tout de suite compris mes sentiments. J'ai été comme leur fille, et ils auraient aimé que je la devienne. Mais qu'est-ce que ça fait d'être parents d'un fils comme toi ? Beau, grand, musclé, le genre de garçon dont toutes les filles rêvent un jour, et rêvent depuis toujours. Inaccessible malheureusement. Moi, je ne rêvais pas d'un garçon comme toi, je rêvais de toi. Oui, Paul. Je te voulais meilleur ami et confident et j'espérais être pour toi ce que tu représentais en secret pour moi. Je t'ai toujours considéré comme le meilleur garçon du monde, comme... Je te l'ai déjà dit, mon meilleur ami.

Au bout d'un mois, Milanie m'a emmené dans un salon littéraire, j'ai rencontré des auteurs et j'ai acheté de nombreux livres pas chers. Je sais que toi qui n'aimes pas lire, ça ne t'intéresse pas, mais je n'ai jamais pu te raconter ma vie à loisir. Tu m'interrompais toujours pour me parler de tes petites amies et du nouveau cocktail que tu avais testé, jusqu'au fameux jour. Tu ignores beaucoup de choses sur moi, sur mes pensées. Tu ignores l'essentiel, Paul, et aujourd'hui dans cette lettre je vais te le dire. Enfin, je peux m'ouvrir à toi. Enfin, je peux te dire la vérité.

Si ça se trouve, dans quelques années, tu serais revenu vers moi, et tu m'aurais dit tout ce que je rêve d'entendre depuis mes 10 ans. Et oui, Paul, ça date. C'était déjà il y a 7 ans. Dans un an, j'ai le Bac. Mais ce que tu ignores par rapport à mes études, c'est que tout ça ne me sert à rien. Je ne sais plus quoi faire, et dans ma tête, mon avenir semblait tout tracé.
« Figure-toi que je vais prendre une année sabbatique, et qu'après celle-ci, je serai en formation dans l'entreprise à papa. Pour mes 20 ans, il prendra sa retraite et je serai la chef de cette entreprise. Si tu savais, Paul, à quel point notre famille est riche ! Mais nous vivons comme des gens ordinaires, pour éviter le vol. Nous sommes des gens intelligents et j'aurais aimé que tu le sois. »
Mais je ne t'écris pas pour te vanter mon futur bonheur, car à quoi bon le réaliser si tu n'es pas là ? Et pourtant, je suis toujours là devant cette feuille blanche, pleurant ta mort.
Paul, sans toi ma vie est une impasse, c'est comme un tunnel dont on ne voit pas la fin. Me comprends-tu, Paul ? « J'avais envie de partager cet argent avec toi, avec un enfant, mon enfant et celui de son père, et toi tu serais quelqu'un de très particulier pour le bébé, quelqu'un de très proche. Un confident, peut-être. Qui sait ce que l'avenir nous aurait réserver à nous 3 et au père, nous 4 donc ? Qui sait... »

Paul. C'est un magnifique prénom, et j'appellerai mon fils de cette façon, si un jour je suis maman. Depuis ton changement de comportement envers moi, et surtout depuis ta mort, je n'ai plus goût à rien. L'envie de vivre m'a quitté et te rejoindre dans l'autre monde me plairait bien. Mais je reste pour mes parents. Ils n'accepteraient pas ma mort, surtout si je leur dis que c'était pour te suivre dans l'infini.

Sauf que tu es mort, et que ce futur bonheur est devenu flou. Papa et maman pleurent, tes parents sont atterrés. Ils me plaignent de tout cœur, et j'aimerais les plaindre aussi. Mais j'ai du mal, beaucoup de mal. Je leur reproche de t'avoir éduqué comme ça, c'est un peu de leur faute si je ne t'ai jamais eu, et si tu es parti. Je suis horrible, et je le sais. Je pleure toujours, et je m'en désespère. Je ne sais plus quoi faire, ni quoi dire pour éviter de te faire te retourner dans ta tombe. Mais je sais que tout à l'heure, quand je poserai la lettre, tu te retourneras. J'ai envie de te la lire, si je suis seule au cimetière, mais je ne sais pas si j'aurai la force et le courage. Sais-tu à quel point je me sens faible et minable ? Tu sais, j'avais beau critiquer ta façon de vivre, je l'enviais. Tu n'avais peur de rien et tu souriais à la vie, à ta manière bien sûr, mais tu souriais. Moi, malgré les grands airs que je me donnais, j'étais faible, et je le suis encore plus depuis ta mort. Ton départ n'était rien, je m'en aperçois aujourd'hui. Et je regrette ce que je n'ai pas fait, je regrette ce que je n'ai pas dit. Peut-être que si j'avais été moins sage, tu ne serais pas mort aujourd'hui et peut-être que j'aurais ce dont je rêve. Maintenant, je peux toujours rêver, te déposer des fleurs sur ta tombe, te parler de l'avenir. Tu n'en as plus.

Paul, c'est très important, je t'en prie, lis cette lettre jusqu'au bout, ne saute aucun passage, et à la fin, ne me juge pas.
J'adore la lecture, et j'écris avec facilité mais pour dire ce que je veux te dire depuis quatre pages, je n'ai pas les mots. Il me suffirait pourtant d'en écrire trois, les trois vrais et les trois importants, mais même par écrit, même si tu es mort, je crains que tu ne partes encore plus loin que ce que tu ne l'es déjà. As-tu compris, Paul ? Te souviens-tu de ce jour il y a 6 mois ? Vais-je vraiment devoir écrire les trois mots que je redoute de te dire ? Paul, oh mon dieu ! Pourquoi es-tu mort ? Que puis-je faire sans toi ?

Mon bureau est trempé de larmes salées, mais cette feuille reste intacte pourtant. J'en prends soin. Je veux qu'elle soit la plus belle feuille du monde, avec les plus beaux mots du monde. Je veux que cette lettre soit unique, et je veux qu'elle te parvienne. La liras-tu, si tu le peux ? J'aimerais que tu me répondes. Mais je sais que c'est impossible, et mon chagrin est immense. Mes parents aimeraient que je sorte de ma chambre, mais s'ils savaient ce que je suis en train de faire, en train d'écrire... Je suis complètement perdue, et je recherche sans cesse que faire de bien. Ils doivent m'entendre pleurer, mais je m'en moque. Lorsque j'aurai fini cette lettre, je pleurerai à loisir et alors, je murmurerai les mots que je rêve de te dire depuis maintenant trop longtemps. Et les mots que je risque très fortement d'écrire à la fin de cette lettre pour
être sûre que tu aies compris. Pourtant, je sais que tu n'es pas idiot, Paul.

Chaque jour depuis ta mort est comme un jour de plus en enfer pour moi. Sans jamais y penser, et sans que personne ne le sache, je me sens coupable de ta mort. Tu étais la perle rare, je t'ai laissé t'échapper. J'aurais dû laisser faire le temps.

Je pense que tu as compris, et ma lettre touche à sa fin. J'espère que tu te portes mieux là où tu es. J'espère que l'infini te plaît. Soigne tes blessures car tu n'étais pas beau à voir, même préparé pour ton enterrement. Mais malgré ça, je ne voyais que ton visage, et j'adorais tes yeux d'un bleu profond. J'appréciais ta personne toute entière et je te voulais pour moi seule.

Je pense à toi chaque jour, mon Paul, mon cher Paul. Adieu,

Paul ... Je t'aime.

Lila, à Bourg-St-Maurice, le 27 août 2013.
© Jade SILVIN, Août 2013