lundi 10 janvier 2011

Contre la montre


Dans le bac à sable, un enfant jouait sans se soucier du temps. Pour lui, il était forcément trop court. S’amuser à construire des châteaux de rois et interrompre au son de la voix de sa maman : « Allez, on rentre ! Il est tard ! » , mon Dieu que c’était dur. Je voyais, à sa mine déconfite, le sacrifice qu’il devait subir. Un enfant, cet enfant avait tant de choses à faire.

Ce n’était pas mon cas ! en effet, je n’avais rien à faire cette année là mais je passais mon temps à regarder ma montre. Et plus je la regardais, plus il me fallait la regarder à nouveau… et plus vite encore.
Au début, je n’avais pas pris garde à cette manie. « Tiens quelle heure est-il ? » ou alors « S’il vous plait, vous n’auriez pas l’heure ? » me demandaient les passant. D’un geste, je relevais la manche de mon veston. Le cadran apparaissait, je donnais l’heure. On ne peut la prêter !

Puis, je pris plaisir à scruter les moindres détails de ma montre. Le bracelet en cuir était de couleur marron. Avant, il était marron. Tout simplement ! A la suite de mes nombreuses observations, je découvris des nuances. J’aperçus des dessins qu’il ne semblait jamais avoir eu. Lorsque l’on à rien à faire, on trouve du temps pour l’inutile. Un jour les piles lachèrent. Plutôt que d’en racheter, j’optais pour une tocante mécanique. Ainsi je me forçais deux fois par jour à la remonter. Elle retardais ! Je le sus lorsqu’ une jeune femme me posa la question : « Avez-vous l’heure ? ». Comme à mon habitude, je répondis. Aussitôt, un homme rectifia. J’avais deux minutes de décalage. Cela m’affecta énormément ! Je me promis désormais d’être toujours précis. Je contrôlais les heures, les minutes. Mais par rapport à quoi ?
Je me mis en quête d’un lieu d’où je pourais apercevoir une horloge. Fiable de préférence. Sinon à quoi cela aurait-il servi ?

C’est ainsi que je m’installais dans ce jardin public face à la sortie du métro. L’activité humaine enrichissait mes journée. Des nombreux passants , beaucoup prirent l’habitude, au lieu de lever la tete pour voir le cadran, de me regarder et me poser la question essentielle.Tout ceci ne fit qu ‘amplifier la cadance de ma main relevant la manche, d écouvrant la montre. Mes yeux jouaient au yoyo entre la bouche béante du métro et mon poignet gauche. On m’appelait « Monsieur de l’heure ».
A ne rien faire, j’étais comme les autres. Je faisais la course avec les aiguilles et … je perdais mon temps. Cette situation a duré longtemps, très longtemps, trop lontemps.

Jusqu’au jour où quelqu’un me dit : « Pourquoi regardez-vous sans arrêt votre montre ? Attendriez-vous une personne qui ne vient pas ? »
Je fus déstabilisé par les propos. Soudain les sons se firent plus présents. Les odeurs réveillèrent des émotions enfouies. Incrédule je vis ..la Montre. Elle m’apparue énorme, dangereuse. Vérrue discrète se développant pour recouvrir la main toute entière.
J’eus peur. Le jeune homme crut à un malaise. Il me secoua. Je sortis de ma léthargie.
Je lui dis : « Accepteriez-vous si je vous offrais ma montre ? » Sans attendre son assentiment, je défis le bracelet et la glissait dans sa poche.

« Merci, lui fis-je, veuillez-vous retirer ».
Depuis ce jour-là, je ne supporte plus ni les montres, ni quoi que se soit qui dissèque le temps. Je n’ai pas plus de choses à faire maintenant que durant cette période mais pour cela j’ai tout mon temps.

Et je comprends mieux les petits enfants qui font des châteaux de sable.

 © Laurent SILVIN, 2004

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