Cher
Paul,
Tu
es mort il y a déjà une semaine, et nous t'avons enterré hier. Je
déposerai tout à l'heure cette lettre. Je m'ouvre à toi. Je
t'ouvre mon cœur. Et si dans l'autre monde où tu es parti, tu peux
lire ma lettre, je t'en prie lis-la mais surtout ne me juge pas.
Tu
es mort dans un accident de voiture, le jour de tes 17 ans, tu
rentrais de soirée. Tu avais bu et je n'étais pas là pour te dire
d'arrêter. Tu n'as jamais voulu m'écouter de toutes manières, et
puis tu ne voulais plus me voir. Tu ne m'as jamais donné de raison
et j'en suis attristée. J'aurais tellement voulu savoir le fond de
tes pensées, Paul.
Je
te connais depuis que je suis enfant, et je pensais bien te
connaître, mais l'adolescence t'a changé, Paul ! Tu es devenu
irresponsable, et tu m'as repoussé. Je n'étais pourtant pas
collante. J'espérais réussir à conserver notre amitié, et
commencer ma vie d'adulte à tes côtés. En amie, bien sûr ! Ne
t'imagine rien. Non, rien.
En
écrivant cette lettre, je pleure et mes larmes roulent doucement sur
mes joues. Tu m'as déjà vu pleuré pourtant, mais aujourd'hui j'ai
honte de pleurer devant cette feuille où je te parle. Tu me manques,
tu me manquais toujours quand tu n'étais pas là, même si c'était
seulement 10 minutes. Paul, tu m'obsédais. Tu étais mon confident,
jusqu'au jour où sans raison, tu m'as ignorée. Je te faisais honte,
n'est-ce pas ? J'aurais aimé que tu m'expliques. J'aurais aimé que
tu te confies à moi. Tu ne l'as jamais fait. Tu étais trop dans ton
monde : jeux vidéos, alcool, soirées, et plans-cul. Et moi, j'étais
trop sage pour toi. Je prenais mes cours vraiment au sérieux, je
voulais avoir le Bac. Je le raterais, pour toi, Paul. Oui, pour toi.
Pourtant,
lorsque nous étions enfants, nous jouions sans fin dans le bac à
sable. T'en souviens-tu au moins ? J'enrage de pleurer ta mort.
J'aimerais ne pas souffrir par ta faute, mais depuis trop longtemps,
tu me fais du mal. Ta mort est au fond une délivrance pour moi, et
pour nous tous. Oui, c'est méchant ce que je te dis ! Mais, n'es-tu
pas méchant, toi ? Si tu savais vraiment pourquoi je t'écris, tu
sauterais au plafond, et tu te moquerais de moi. En fait, je sais
depuis toujours pourquoi tu m'as laissé tomber. J'ai failli te le
dire de ton vivant, et tu as dû comprendre, mais tu ne voulais pas
entendre la vérité. Tu es parti, tu t'es fermé, et tu ne m'as plus
adressé la parole. Malgré cela, Paul, malgré que tu m'ignorais
depuis presque 6 mois, je suis venue à ton enterrement, parce qu'au
fond de moi, tu étais toujours mon meilleur ami. Et tu le resteras
pour toujours, désormais, puisque tu es mort. Mort, Paul, mort !
Comment puis-je vivre sans toi ? Sans l'espoir de renouer avec toi un
jour ? Je n'entendrai plus jamais ta voix me dire « Lila, arrête
tes sottises, tu sais bien que tu comptes pour moi. » Tu me disais
cela il y a un an. Et pour moi, ça fait déjà une éternité. 6
mois après, tu partais. Paul, je vais te dire tout ce que j'ai sur
le coeur depuis ton départ. Ne me juges pas, surtout. Je t'en prie.
Quand
tu es parti, j'ai voulu te courir après. La main de Milanie m'a
arrêté. Elle m'a demandé de me calmer, et elle a voulu me
rassurer. Elle m'a dit que tu reviendrais. Tu n'es jamais revenu, et
tu ne reviendras jamais. Tu es parti pour toujours désormais.
Ensuite, j'ai essayé de me concentrer sur mes cours, de rester la
fille sage que j'avais toujours été. Je n'ai pas réussi. Me
croiras-tu, mes notes ont baissé considérablement, j'ai perdu 6
points, et désormais je tourne autour de 10 de moyenne. Toi, tu me
diras sûrement que c'est la meilleure note que tu n'as jamais eu,
mais ça non plus tu ne peux plus me le dire. Tu ne peux plus rien me
dire.
Oui,
je ne t'ai pas dit que je déprimais à cause de toi quand on était
venu manger chez toi avec papa et maman. D'ailleurs, j'en veux
toujours à tes parents. Je sais bien qu'ils espéraient qu'on se
réconcilie, car... Paul, ils connaissent la vérité, ils savent
pourquoi je suis aussi triste de ton départ, et de ta mort. Ils me
connaissent mieux que toi au fond, et lorsque j'étais enfant, je me
plaisais à les appeler tata et tonton. Ils étaient de la famille
pour moi, et ils ont tout de suite compris mes sentiments. J'ai été
comme leur fille, et ils auraient aimé que je la devienne. Mais
qu'est-ce que ça fait d'être parents d'un fils comme toi ? Beau,
grand, musclé, le genre de garçon dont toutes les filles rêvent un
jour, et rêvent depuis toujours. Inaccessible malheureusement. Moi,
je ne rêvais pas d'un garçon comme toi, je rêvais de toi. Oui,
Paul. Je te voulais meilleur ami et confident et j'espérais être
pour toi ce que tu représentais en secret pour moi. Je t'ai toujours
considéré comme le meilleur garçon du monde, comme... Je te l'ai
déjà dit, mon meilleur ami.
Au
bout d'un mois, Milanie m'a emmené dans un salon littéraire, j'ai
rencontré des auteurs et j'ai acheté de nombreux livres pas chers.
Je sais que toi qui n'aimes pas lire, ça ne t'intéresse pas, mais
je n'ai jamais pu te raconter ma vie à loisir. Tu m'interrompais
toujours pour me parler de tes petites amies et du nouveau cocktail
que tu avais testé, jusqu'au fameux jour. Tu ignores beaucoup de
choses sur moi, sur mes pensées. Tu ignores l'essentiel, Paul, et
aujourd'hui dans cette lettre je vais te le dire. Enfin, je peux
m'ouvrir à toi. Enfin, je peux te dire la vérité.
Si
ça se trouve, dans quelques années, tu serais revenu vers moi, et
tu m'aurais dit tout ce que je rêve d'entendre depuis mes 10 ans. Et
oui, Paul, ça date. C'était déjà il y a 7 ans. Dans un an, j'ai
le Bac. Mais ce que tu ignores par rapport à mes études, c'est que
tout ça ne me sert à rien. Je ne sais plus quoi faire, et dans ma
tête, mon avenir semblait tout tracé.
«
Figure-toi que je vais prendre une année sabbatique, et qu'après
celle-ci, je serai en formation dans l'entreprise à papa. Pour mes
20 ans, il prendra sa retraite et je serai la chef de cette
entreprise. Si tu savais, Paul, à quel point notre famille est riche
! Mais nous vivons comme des gens ordinaires, pour éviter le vol.
Nous sommes des gens intelligents et j'aurais aimé que tu le sois. »
Mais
je ne t'écris pas pour te vanter mon futur bonheur, car à quoi bon
le réaliser si tu n'es pas là ? Et pourtant, je suis toujours là
devant cette feuille blanche, pleurant ta mort.
Paul,
sans toi ma vie est une impasse, c'est comme un tunnel dont on ne
voit pas la fin. Me comprends-tu, Paul ? « J'avais envie de
partager cet argent avec toi, avec un enfant, mon enfant et celui de
son père, et toi tu serais quelqu'un de très particulier pour le
bébé, quelqu'un de très proche. Un confident, peut-être. Qui sait
ce que l'avenir nous aurait réserver à nous 3 et au père, nous 4
donc ? Qui sait... »
Paul.
C'est un magnifique prénom, et j'appellerai mon fils de cette façon,
si un jour je suis maman. Depuis ton changement de comportement
envers moi, et surtout depuis ta mort, je n'ai plus goût à rien.
L'envie de vivre m'a quitté et te rejoindre dans l'autre monde me
plairait bien. Mais je reste pour mes parents. Ils n'accepteraient
pas ma mort, surtout si je leur dis que c'était pour te suivre dans
l'infini.
Sauf
que tu es mort, et que ce futur bonheur est devenu flou. Papa et
maman pleurent, tes parents sont atterrés. Ils me plaignent de tout
cœur, et j'aimerais les plaindre aussi. Mais j'ai du mal, beaucoup
de mal. Je leur reproche de t'avoir éduqué comme ça, c'est un peu
de leur faute si je ne t'ai jamais eu, et si tu es parti. Je suis
horrible, et je le sais. Je pleure toujours, et je m'en désespère.
Je ne sais plus quoi faire, ni quoi dire pour éviter de te faire te
retourner dans ta tombe. Mais je sais que tout à l'heure, quand je
poserai la lettre, tu te retourneras. J'ai envie de te la lire, si je
suis seule au cimetière, mais je ne sais pas si j'aurai la force et
le courage. Sais-tu à quel point je me sens faible et minable ? Tu
sais, j'avais beau critiquer ta façon de vivre, je l'enviais. Tu
n'avais peur de rien et tu souriais à la vie, à ta manière bien
sûr, mais tu souriais. Moi, malgré les grands airs que je me
donnais, j'étais faible, et je le suis encore plus depuis ta mort.
Ton départ n'était rien, je m'en aperçois aujourd'hui. Et je
regrette ce que je n'ai pas fait, je regrette ce que je n'ai pas dit.
Peut-être que si j'avais été moins sage, tu ne serais pas mort
aujourd'hui et peut-être que j'aurais ce dont je rêve. Maintenant,
je peux toujours rêver, te déposer des fleurs sur ta tombe, te
parler de l'avenir. Tu n'en as plus.
Paul,
c'est très important, je t'en prie, lis cette lettre jusqu'au bout,
ne saute aucun passage, et à la fin, ne me juge pas.
J'adore
la lecture, et j'écris avec facilité mais pour dire ce que je veux
te dire depuis quatre pages, je n'ai pas les mots. Il me suffirait
pourtant d'en écrire trois, les trois vrais et les trois importants,
mais même par écrit, même si tu es mort, je crains que tu ne
partes encore plus loin que ce que tu ne l'es déjà. As-tu compris,
Paul ? Te souviens-tu de ce jour il y a 6 mois ? Vais-je vraiment
devoir écrire les trois mots que je redoute de te dire ? Paul, oh
mon dieu ! Pourquoi es-tu mort ? Que puis-je faire sans toi ?
Mon
bureau est trempé de larmes salées, mais cette feuille reste
intacte pourtant. J'en prends soin. Je veux qu'elle soit la plus
belle feuille du monde, avec les plus beaux mots du monde. Je veux
que cette lettre soit unique, et je veux qu'elle te parvienne. La
liras-tu, si tu le peux ? J'aimerais que tu me répondes. Mais je
sais que c'est impossible, et mon chagrin est immense. Mes parents
aimeraient que je sorte de ma chambre, mais s'ils savaient ce que je
suis en train de faire, en train d'écrire... Je suis complètement
perdue, et je recherche sans cesse que faire de bien. Ils doivent
m'entendre pleurer, mais je m'en moque. Lorsque j'aurai fini cette
lettre, je pleurerai à loisir et alors, je murmurerai les mots que
je rêve de te dire depuis maintenant trop longtemps. Et les mots que
je risque très fortement d'écrire à la fin de cette lettre pour
être
sûre que tu aies compris. Pourtant, je sais que tu n'es pas idiot,
Paul.
Chaque
jour depuis ta mort est comme un jour de plus en enfer pour moi. Sans
jamais y penser, et sans que personne ne le sache, je me sens
coupable de ta mort. Tu étais la perle rare, je t'ai laissé
t'échapper. J'aurais dû laisser faire le temps.
Je
pense que tu as compris, et ma lettre touche à sa fin. J'espère que
tu te portes mieux là où tu es. J'espère que l'infini te plaît.
Soigne tes blessures car tu n'étais pas beau à voir, même préparé
pour ton enterrement. Mais malgré ça, je ne voyais que ton visage,
et j'adorais tes yeux d'un bleu profond. J'appréciais ta personne
toute entière et je te voulais pour moi seule.
Je
pense à toi chaque jour, mon Paul, mon cher Paul. Adieu,
Paul
... Je t'aime.
Lila,
à Bourg-St-Maurice, le 27 août 2013.
© Jade SILVIN, Août 2013
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